CAF : Pour qui roule Moetsepe ?

C’est l’aboutissement de cette élite noire qui a prospéré après l’apartheid, le milliardaire sud-africain a été élu par acclamation à la tête de la Confédération africaine de football en mars 2021. Il était le seul candidat à la succession d’Ahmad Ahmad

Qui est Patrice Moetsepe ?

Patrice Motsepe naît en 1962 dans le township de Soweto, près de Johannesburg. Son père, Kgosi Augustine Motsepe, est issu d’un clan royal de la tribu Tswana, mais tient une petite boutique, une spaza shop, à la fois épicerie et débit de boisson, près de Pretoria. Le jeune Patrice y apprend les rudiments du commerce.

Il effectue sa scolarité dans une école catholique de Soweto. C’est un élève brillant et il parvient à entrer à l’université. Il étudie le droit des affaires et le droit des mines, les mines l’une des principales ressources de l’Afrique du Sud. 

Après la fin de l’apartheid aboli en 1992,  Patrice Motsepe fait partie de ces jeunes diplômés qui vont bénéficier de l’ouverture aux Sud-Africains noirs de postes à responsabilités dans tous les domaines, notamment dans le secteur économique. 

Il décide en 2004 d’investir dans l’un des clubs les plus populaires du pays : les Mamelodi Sundowns de Pretoria

Il devient propriétaire de ce club qui dispute régulièrement la ligue des Champions d’Afrique

Patrice Motsepe entre ainsi dans le monde du football, lui dont la fortune atteindrait, selon le magazine Forbes, 2,5 milliards d’euros. Ce qui en ferait  l’homme le plus riche d’Afrique du Sud, lui qui est aussi le beau-frère de l’actuel président sud-africain Cyril Ramaphosa.

Comment infantino avait imposé Moetsepe

Au départ, ils étaient cinq à viser la présidence de la Confédération africaine de football (CAF). Gianni Infantino, le tout-puissant patron de la FIFA, a décidé de prendre les choses en main, en imposant le milliardaire sud-africain Patrice Motsepe, lequel sera élu, pépère, à Rabat, avec un score à la nord-coréenne.

Ce sacré Gianni Infantino a réinventé, pour l’élection à la présidence de la CAF, le bon vieux système du candidat unique, qui a fait le bonheur de tant de chefs d’États africains. Le big boss du football mondial, avec cet humour teinté de cynisme qui fait son charme, niera jusqu’à son dernier souffle s’être mêlé de l’élection du président de la CAF. Il l’a toujours répété , lors d’une conférence de presse de l’International Board. Et il le redira, à chaque fois qu’un journaliste un brin soupçonneux lui posera la question. Le Valaisan se contentera juste de rappeler qu’il n’a d’autre but que d’aider le football africain à se développer.

La grande sauterie de Rabat

Tout s’est joué à Rabat, les 27 et 28 février dernier, lors d’une réunion au sommet organisée par Fouzi Lekjaa, le président de la Fédération royale marocaine de football (FRMF), avec le soutien de l’Égypte. Infantino avait envoyé dans la capitale du Royaume chérifien deux de ses sbires, le Congolais Véron Mosengo-Mba et le Suédois Mattias Grafström, pour soumettre aux quatre candidats – Patrice Motsepe, l’Ivoirien Jacques Anouma, le Sénégalais Augustin Senghor et le Mauritanien Ahmad Yahya – un deal aux petits oignons fignolé dans les bureaux de la FIFA à Zurich. À savoir : laisser le seul Sud-Africain maintenir sa candidature, en promettant aux trois autres quelques hochets : le poste de premier vice-président pour Senghor, celui de deuxième vice-président pour Yahya, et un rôle de conseiller spécial du président pour Anouma. « Quand on dit conseiller spécial du président, on parle officiellement de celui de la CAF. Officiellement, car Anouma aura plus vite fait de discuter directement avec Infantino », ricane un dirigeant d’une fédération ouest-africain

La FIFA aurait-elle fait la même chose lors de l’élection du président de l’UEFA ? J’en doute. D’ailleurs, pour la CAF, ce n’est pas une élection, mais une nomination.

« Une alliance contre-nature »

Une version que confirme ce proche d’un des trois candidats francophones. « En Afrique, tout est hélas politique. À partir du moment où le chef de l’État dit à un candidat de se retirer, ce dernier n’a pas le choix. Senghor et Anouma avaient pourtant envie d’aller au bout. Car ils avaient l’expérience et la légitimité. Je peux vous assurer qu’ils n’ont pas accepté de gaieté de cœur, mais ils ne pouvaient pas faire autrement. » Tata Avlessi, l’ancien président de la Fédération togolaise de football (FTF), ne digère toujours pas le scénario imaginé sur les hauteurs de Zurich. « D’abord, la FIFA aurait-elle fait la même chose lors de l’élection du président de l’UEFA ? J’en doute. D’ailleurs, pour la CAF, ce n’est pas une élection, mais une nomination. À la place d’Anouma et de Senghor, je me serais complètement retiré du jeu ! Motsepe, je n’ai rien contre lui, mais il a été imposé par Infantino. J’entends partout qu’il faut une CAF forte, mais Motsepe est un homme d’affaires, il est très occupé, il n’a jamais dirigé la fédération ou la ligue professionnelle en Afrique du Sud, et je ne vois pas très bien comment il va pouvoir gérer l’instance au quotidien… »

Je n’ai pas entendu un seul dirigeant de fédération dire un mot sur l’attitude de la FIFA , qui a su en profiter.

L’ancien dirigeant togolais ne croit guère à la pérennité de ce qu’il qualifie « d’alliance contre nature. Surtout si Motsepe n’est pas assez présent dans la gestion de la CAF. Et puis, je ne serais pas étonné que dans deux ou trois ans, il y ait des histoires de corruption qui sortent. » Les Africains, qui ont hurlé à l’ingérence de la FIFA, allant même jusqu’à employer le terme de « néocolonialisme » , doivent aussi assumer leurs responsabilités. « Je n’ai pas entendu un seul dirigeant de fédération dire un mot sur l’attitude de la FIFA, qui a su en profiter », tacle Avlessi. Ainsi, il faut s’attendre à ce que la périodicité de la CAN, qu’Infantino aimerait voir se dérouler tous les quatre ans, soit prochainement remise sur le tapis, d’autant plus que Motsepe n’y est pas forcément hostile. Une question sensible en Afrique, où les fédérations sont très majoritairement attachées au format actuel, avec une phase finale tous les deux ans. « Ce sera un test intéressant. On verra l’attitude des fédérations à ce moment-là », promet un dirigeant nord-africain.

La FIFA place ses hommes

Pour diriger la Confédération, Patrice Motsepe sera secondé par cinq vice-présidents, contre trois jusqu’alors. Les statuts ont été modifiés dans ce sens, autant pour donner de la consistance à la nouvelle direction que pour faire de la place aux uns et aux autres. Augustin Senghor et Ahmed Yahya occupent comme prévu les postes de premier et deuxième vice-présidents. Le Djiboutien Suleiman Waberi, le Camerounais Seidou Mbombo Njoya et la Comorienne Kanizat Ibrahim, première femme à occuper un tel poste, en vertu d’une promesse (tenue donc) du nouveau président, complètent cette garde rapprochée. Aucune trace en revanche pour l’instant de Jacques Anouma, auquel un poste de conseiller spécial était supposé être réservé.

L’essentiel est peut-être ailleurs. Le poste clé de secrétaire général est désormais occupé par un homme parachuté par Gianni Infantino, Véron Mosengo Omba, jusqu’alors directeur de la division Associations membres à la FIFA et homme de confiance de l’Italo-Suisse en Afrique. Cheville ouvrière du compromis de Rabat, le Congolais s’est attiré les encouragements de Zurich. « La FIFA a hâte de travailler avec lui sur de futurs projets qui aideront à propulser le football africain au sommet du football mondial », pouvait-on lire dans un communiqué cosigné par Infantino et sa secrétaire générale Fatma Samoura. Si Patrice Motsepe a assuré que la CAN garderait pour l’instant sa périodicité bisannuelle, on prête par exemple à la FIFA l’intention de mettre en place une Ligue fermée réservée aux meilleurs clubs du continent. Qu’en sera-t-il réellement ? Les prochains mois permettront d’apporter un début de réponse.

Trois ans après sa nomination, le Sud Africain ne fait nullement l’unanimité, plusieurs fédérations africaines grognent dans les coulisses, son penchant pour le Royaume Chérifien ne laisse plus aucun doute. On murmure dans les travées qu’un coup d’état se prépare pour le transfert du siège de la CAF du Caire à Rabat.

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