Il y a neuf mois, une jeune diplômée de l’université de Yale se faisait un nom dans le monde du cinéma. Aujourd’hui, elle s’apprête à disputer la Coupe du Monde Féminine de la FIFA 2023.
- Les Philippines disputent une première Coupe du Monde de la FIFA, masculine ou féminine
- Les Filipinas affronteront la Suisse, la Nouvelle-Zélande et la Norvège dans le Groupe A
- La défenseure de Santos, au Brésil, a quitté le milieu du cinéma pour celui du football
Le procureur général de Californie, Rob Bonta, bondit le poing en l’air avec le même enthousiasme qu’il mettait, à 20 ans, à célébrer les buts des Yale Bulldogs. Sa joie n’était pas due à l’adoption d’une loi visant à aider les communautés historiquement marginalisées ou à prévenir la violence par armes à feu. Il réagissait à une nouvelle qu’il venait de recevoir via FaceTime. Sa fille Reina se trouvait au Festival du film de Portland où elle assistait à la première mondiale de LAHI, un court-métrage qu’elle a coécrit, dirigé et produit, avec en vedette l’actrice et longboarder professionnelle Tiki Willis. C’est là qu’elle a appris que LAHI avait remporté le prestigieux prix du public au Festival du film philippin de San Diego.
Reina avait fait un stage chez HBO, travaillé sur le plateau de la série Magnum, tourné un documentaire sur les rhinocéros noirs menacés d’extinction au Kenya, et vu ses photographies publiées par Forbes Magazine. Le fait qu’elle ait obtenu un prix pour un “simple projet scolaire” réalisé alors qu’elle était encore étudiante à l’université de Yale a abasourdi sa famille, pourtant habituée au succès. Ainsi, les parents de Reina sont tous deux des personnalités politiques du Golden State. Son grand-père était l’un des organisateurs de la campagne pour les droits civiques lancée par Martin Luther King Jr. Sa grand-mère, qui a émigré des Philippines aux États-Unis en slow boat dans les années 1960, est une militante qui a participé à la création d’un syndicat agricole. Et aujourd’hui, Reina compte parmi les cinéastes les plus prometteurs du pays.
La suite de son histoire est à peine croyable. À l’exaspération des sociétés de production cherchant à s’attacher ses services, Reina a abandonné le cinéma au profit d’une tout autre forme de spectacle.
Quand elle a contacté son père sur FaceTime neuf mois plus tard, elle a de nouveau fait son bonheur en lui annonçant qu’elle allait représenter les Philippines, le pays natal de Rob Bonta, lors de la Coupe du Monde Féminine de la FIFA, Australie & Nouvelle-Zélande 2023.
La FIFA s’est entretenue avec la défenseure centrale au sujet du scénario qu’elle est en train d’écrire balle au pied.
Est-il vrai que le procureur général de Californie était un très bon footballeur ?
C’était, et c’est toujours, un excellent joueur. Il faisait partie de l’équipe de Yale, dont il a été capitaine et qu’il a menée en championnat de l’Ivy League. Il a remporté l’un des prix sportifs les plus prestigieux de l’université, celui de meilleur athlète masculin. Il a été pour beaucoup dans mon évolution en tant que footballeuse et en tant que personne. J’étais très fière de fouler le terrain où il a joué à Yale et d’essayer de me montrer à la hauteur de la réputation qu’il s’est forgée là-bas.
Pendant un temps, il a rêvé de faire carrière dans le football. Après son diplôme, il a été pro brièvement dans une ancienne version de la MLS. Mais en fin de compte, il a choisi une autre passion, le droit. Aujourd’hui, il est très heureux de servir l’État où il a grandi en qualité de procureur général. Mais le football était l’un de ses rêves, et il n’a pas pu faire tout ce qu’il aurait voulu. C’est formidable qu’il puisse vivre ce rêve à travers moi d’une certaine manière. Je joue professionnellement et je suis membre de l’équipe nationale des Philippines. Je représente le pays où il est né.
La culture philippine a-t-elle tenu une place importante dans votre enfance ?
Absolument. Ma lola (grand-mère en philippin) vivait avec nous dans un foyer multigénérationnel. Tous les Philippins sont fiers de la culture de leur pays, mais aucun ne l’est autant que ma grand-mère. Elle m’en a enseigné les coutumes et les valeurs. C’est un peu plus facile en Californie, qui abrite une large communauté philippine. Ma lola est aussi une militante. Elle lutte pour la liberté, l’autonomie, la justice et les droits des Philippins en Amérique. Ça a toujours fait partie de ma vie.
Enfant, rêviez-vous de devenir footballeuse ou cinéaste ?
J’ai toujours rêvé d’être joueuse professionnelle et de disputer la Coupe du Monde. C’est pourquoi ces dernières semaines me paraissent surréalistes. J’ai encore du mal à y croire. La cérémonie de bienvenue était magnifique. Nous avons été accueillies en Nouvelle-Zélande par des danses traditionnelles indigènes. Ça a été une expérience mémorable et très émouvante.
Comment vous êtes-vous intéressée à la réalisation de films ?
Quand je suis entrée à Yale, je voulais être neurochirurgienne et j’ai suivi des cours de préparation aux études médicales. J’avais choisi le cinéma en option obligatoire. Ça a bouleversé ma vie. J’ai changé de filière pour me spécialiser dans cette discipline. J’adore la réalisation. Ça me permet d’être créative, de raconter des histoires, de faire preuve d’un peu du militantisme qui a tenu une place si importante dans mon enfance avec ma lola et mes parents. C’est une passion à laquelle je souhaite me consacrer quand je raccrocherai les crampons.
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Compte tenu du succès de LAHI, a-t-il été difficile d’abandonner le cinéma pour poursuivre une carrière de joueuse professionnelle ?
Beaucoup ont pensé que j’étais folle. Il est très compliqué de faire carrière dans le football, surtout féminin. Est-ce viable financièrement ? On m’a conseillé de surfer sur la vague de mon succès dans le cinéma. Mais l’argent n’est pas ce qui compte le plus pour moi. Mes parents et mes proches m’ont encouragée à écouter mon cœur. Je savais que je ne pouvais pas concilier les deux. Je ne vais pas prétendre n’avoir pas hésité. J’étais consciente de ce que j’allais abandonner. J’avais tellement d’opportunités de choix. Mais la possibilité de défendre les couleurs des Philippines à la Coupe du Monde m’a facilité les choses.
Les Philippines m’ont contactée quand j’étais encore à Yale pour me proposer de participer à un camp d’entraînement. Rien n’était garanti. Je n’avais que peu de temps pour m’investir dans le football et tenter de gagner ma place dans les 23. Et je devais d’abord finir mes études et obtenir mon diplôme. Mais je ne pouvais pas laisser passer la chance de représenter le pays où mon père et ma lola étaient nés. C’était comme une évidence. Il faut beaucoup de courage pour faire une carrière de footballeuse. Mais ça en valait largement la peine, puisque je me trouve ici, à la Coupe du Monde, pour mon plus grand bonheur.
Comment avez-vous choisi Santos, au Brésil, pour faire vos débuts en club ?
C’est une décision dont je me félicite tous les jours. Je suis très fière de porter le maillot du club de Pelé, de Marta et de Cristiane. J’ai rejoint Santos grâce à mon entraîneure adjointe à Yale, Tiffany Weimer, qui y a joué. Quand j’ai décidé de devenir pro, elle a contacté l’entraîneur de Santos, qu’elle connaît bien, pour lui soumettre mon profil de défenseure centrale technique et offensive. Il a regardé ma vidéo et m’a proposé un contrat le jour même. Je n’en revenais pas d’être engagée par Santos. J’adore ce club, ça se voit, je ne peux pas m’empêcher de sourire quand j’en parle.
Qu’avez-vous éprouvé à l’annonce de votre présence dans la liste des 23 des Philippines pour la Coupe du Monde ?
J’ai versé quelques larmes ! (rires) J’étais à la fois émue, soulagée et électrisée. Il m’a fallu un peu de temps pour réaliser que j’allais bientôt accomplir mon rêve d’enfant. Je me souviendrai toute ma vie de ce moment. C’est amusant, parce que, lorsque j’ai appelé mes parents sur FaceTime, je pleurais tellement que je n’ai pas pu parler pendant quelques minutes. Ils se sont inquiétés, ils ne savaient pas si c’était des larmes de joie ou de tristesse, ils ont donc été soulagés quand ils ont compris que je pleurais de bonheur !
Mon père m’a apporté tout son soutien. Il m’a dit que je le méritais. C’étaient des mots importants à entendre de la part de l’homme qui m’avait fait aimer ce sport. Ensuite, j’ai appelé ma lola. Elle était aux anges. Mes parents étaient ravis de me voir réaliser mon rêve d’enfance. Ma lola aussi, mais je crois qu’elle était encore plus heureuse de savoir que j’allais jouer pour son pays. Ça représente tout pour elle.
Que pensez-vous ressentir en entendant l’hymne national philippin retentir pour la première fois en Coupe du Monde ?
Vous allez me faire craquer ! C’est la première fois que le drapeau philippin sera présent dans une Coupe du Monde masculine ou féminine. La première fois que les Philippins entendront leur hymne national dans cette compétition. Et je vais avoir le privilège de le chanter. J’en frissonne rien que d’y penser.
Les Philippines font partie des petits poucets du tournoi. Quel est l’objectif de l’équipe ?
Nous sommes ici pour gagner. C’est dans cet esprit que nous jouerons chaque match. Nous abordons le tournoi avec une mentalité de championnes. Nous prendrons les rencontres une par une. Nous voulons garder la tête froide et rester humbles. Il est important pour des néophytes comme nous d’entamer la compétition avec la même mentalité que les habituées de l’épreuve. L’objectif est de gagner. J’ai toute confiance dans notre encadrement et notre préparation.
Verrons-nous vos parents dans les tribunes ?
Oui ! Ma mère, mon père, mon frère et mes deux grands-mères vont venir. J’ai hâte de les voir. Nous allons passer des moments exceptionnels. Et quand mon parcours en Coupe du Monde s’achèvera, mon père, ma lola et moi irons aux Philippines pour rendre visite à notre famille. Ma lola vieillit, alors nous allons vivre une expérience très forte.