Dans cette interview exclusive pour le site de la FIFA, Reynald Pedros parle de la première qualification du Maroc pour le Mondial 2023 et évoque le travail réalisé depuis son arrivée à la tête de l’équipe fin 2020.
Reynald Pedros, figure emblématique du football français, a connu une carrière aussi riche que variée en tant que joueur et entraîneur. Avec 25 sélections en équipe de France et un titre de champion de France en 1995 avec le FC Nantes, le natif orléanais de 51 ans s’est bâti une solide réputation en tant que joueur.
C’est cependant avec l’habit d’entraîneur qu’il a plus récemment marqué les esprits. À la tête de l’Olympique Lyonnais de 2017 à 2019, Pedros a accompli l’exploit remarquable de remporter la Ligue des Champions féminine de l’UEFA deux années consécutives, en 2018 et 2019.
Après ces succès de prestige, le technicien a donné un virage inattendu à sa carrière en rejoignant l’équipe nationale féminine du Maroc fin 2020. Alors que les Lionnes de l’Atlas ne s’étaient jamais qualifiées pour la Coupe du Monde Féminine de la FIFA™, elles ont réussi l’exploit en se qualifiant pour les demi-finales de la Coupe d’Afrique des Nations féminine 2022.
Elles se sont mêmes hissées jusqu’en finale avant de s’incliner 2-1 contre l’Afrique du Sud. Et si les Marocaines ont ouvert un nouveau chapitre de leur histoire, c’est en partie grâce au savoir-faire de Pedros qui continuera à œuvrer sur le banc lors du Mondial 2023.
L’ancien joueur des Bleus a accordé une interview exclusive à la FIFA.
FIFA : Entre votre arrivée en 2020 et aujourd’hui, quels progrès avez-vous remarqués dans le football féminin au Maroc ?
Reynald Pedros : La première étape, c’était la marge de progrès qu’on pouvait avoir lors de la Coupe d’Afrique des nations. On n’a joué que contre des équipes africaines pour voir quels étaient les degrés de travail et pour combler le déficit qu’on pouvait avoir, que ce soit athlétique ou tactique par rapport aux nations fortes de la CAN. Donc on a travaillé, on a rattrapé une partie du temps perdu physiquement et on a gagné beaucoup de temps au niveau tactique sur cette CAN.
On parle beaucoup de la différence de niveau entre l’OL et une équipe comme le Maroc, mais pouvez-vous mettre en lumière les similitudes que vous avez remarquées en arrivant dans cette équipe du Maroc ?
Je pense que la similitude, c’est nous qui devons la donner par rapport à l’exigence. L’exigence dans le travail reste la même parce que si on veut exister, il va falloir beaucoup travailler, peut-être plus que les autres. Bien sûr, il y a une différence de formation entre les jeunes marocaines et les joueuses françaises. Les Marocaines peuvent avoir autant de qualités que les autres, mais à condition de travailler, d’être disciplinées, de faire attention à leurs corps en dehors du foot. C’est une gymnastique qui est différente mais dans l’exigence du travail, c’est même un petit peu plus ici que si on avait une équipe européenne.
Est-ce que la Fédération vous a donné carte blanche pour vraiment imprimer votre “patte Pedros” sur cette équipe ?
Il n’y a pas de patte, on a travaillé très simplement. On a façonné notre schéma tactique par rapport à la qualité de notre effectif. Et on était convaincus que ce qu’on avait, ce qu’on proposait, c’était ce qui allait le mieux au groupe. Les résultats rapides nous ont montré qu’on était sur la bonne voie et qu’on avait des joueuses qui étaient très à l’écoute.
Certaines de vos joueuses évoluent en Europe. Lors de votre arrivée, avez-vous senti qu’elles avaient déjà ce niveau d’exigence ? Si oui, ont-elles tiré les autres vers le haut ?
Non, il n’y en avait pas ou très peu. Quand on est arrivés, on a fait un gros travail de scouting pour aller chercher des joueuses qui jouent en Europe dans des bons championnats, des divisions importantes, pour faire en sorte que le groupe soit meilleur, plus fort. Ces joueuses “européennes” sont importantes parce qu’elles doivent montrer l’exemple. On ne peut pas se permettre d’avoir un groupe avec une dizaine de joueuses de très bon niveau et une dizaine de joueurs de niveau moyen. Il faut que tout le monde soit au même niveau.
Si on demande à une joueuse marocaine quel genre d’entraîneur vous êtes, que répondrait-elle ?
Je n’en ai aucune idée. Parfois je suis exigeant ou trop sévère. J’ai l’impression, j’espère, d’être le plus juste possible. J’essaie de mettre tout le monde sur le même pied d’égalité. Je ne me demande pas ce qu’elles peuvent penser de moi, ce n’est pas la chose qui m’intéresse le plus.
Quel est le premier nom que vous mettez sur votre feuille de match ?
C’est celui de mon adjoint, Éric Garcin. Aujourd’hui, la progression de cette équipe nationale, sa place en finale de la CAN et sa qualification pour la Coupe du Monde, est en grande partie liée à mon staff. C’est un staff qui est très à l’écoute, qui travaille et qui est solidaire. Je pense que c’est la base de notre réussite. Ce qui est important pour moi, c’est qu’on soit reconnaissant envers mon staff, à sa juste valeur.
Qu’avez-vous ressenti après avoir battu le Botswana (2-1) en quart de finale de la CAN, ce qui voulait dire que vous alliez à la Coupe du Monde ?
De la fierté parce que c’était à domicile devant 50 000 personnes. De la fierté, mais en même temps, très rapidement, on s’est dit : qu’est-ce qu’on fait ? Soit on s’arrête là parce qu’on a rempli le contrat et on est demi-finale, soit on continue le plaisir et on va chercher cette finale pour nous tous, pour le travail qu’on a fait, pour l’engouement, pour les spectateurs, pour les familles, pour tout ça. Dans notre esprit, c’était clair qu’on allait tout faire pour aller chercher cette finale.
Vous vous retrouvez dans le Groupe H des “vice-championnes” : l’Allemagne, vice-championne d’Europe, la Colombie, vice-championne d’Amérique du Sud, la République de Corée, vice-championne d’Asie, et le Maroc, vice-champion d’Afrique. Sauf que vous êtes les seules débutantes en Coupe du Monde. Comment abordez-vous ce Groupe H ?
Je pense qu’on l’aborde avec de la fierté de représenter le Maroc. Après, comme j’ai redit aux filles, on sera prêts pour le premier match contre l’Allemagne et on jouera cette phase de poules pour se qualifier pour les huitièmes. À partir de là, ce n’est que du travail. On sait qu’aujourd’hui l’Allemagne, la Corée et la Colombie sont contents de jouer contre le Maroc. À nous de leur montrer que ça ne va pas être si simple que ça et qu’on va tout faire pour se qualifier. Si on se met dans la tête qu’on est capables de le faire, on va être capables de le faire.
Allez-vous aussi suivre les résultats de l’équipe de France?
Si on a le bonheur de terminer dans les deux premiers, on tombera dans le groupe de l’équipe de France et du Brésil. Je pense qu’on va jeter un œil de manière à anticiper sur une éventuelle qualification. Après, un huitième serait quelque chose d’exceptionnel. Que ce soit contre la France, le Brésil ou une autre équipe, ce serait déjà fantastique. Bien sûr, je vais suivre les résultats. Pas plus que ça au départ, parce qu’on va se concentrer sur nous, mais on aura un œil quand même.
L’équipe masculine du Maroc a atteint les demi-finales de Qatar 2022. Visez-vous un exploit similaire en Australie et Nouvelle-Zélande?
On a eu des réunions avec Walid Regragui pour qu’il nous parle de cette épopée en Coupe du Monde. Il a parlé aux joueuses de tout ce qui était état d’esprit, toutes ces choses qui leur ont permis d’aller soulever des montagnes. C’est important de s’inspirer de choses positives et je pense que c’était nécessaire que Walid vienne nous l’expliquer. C’était une grande fierté pour les joueuses et elles ont très envie, elles aussi, de créer un exploit. Rien n’est impossible mais il faut y mettre les ingrédients.